.Christophe Cayla est un sculpteur en équilibre.
Ses sculptures mobiles de fer et de bronze défient la gravité et ses personnages semblent s’envoler ou flotter dans les nimbes. Il dessine un monde poétique où l’homme s’est libéré de ses contraintes terrestres et cherche sa voie dans l’univers.
Cette recherche de légèreté n’est cependant pas grave et offre un aspect ludique et solaire qui emporte le spectateur vers les rives de l’enfance et de l’émerveillement.
Ces œuvres uniques méritent le détour, elles donnent le sourire.
Héraclite et Démocrite sont dans un bateau…
Qu’on me donne un point d’appui…et rien d’autre, sinon la nécessité, l’impulsion, le souffle ténu, l’effleurement fortuit de mains désinvoltes mais appropriées, impulsion à la corolle qui advient, qui appelle non la main mais l’effleurement, il me suffit d’un point, compact cependant, forgé au feu grec afin que s’éveillent et veillent les balancements, les tournoiements, il me suffit d’un point…pour que la corolle, en sa conicité, quémandeuse de caresses, de mains impulsives, la corolle entre en révolution et que, ce faisant, la plume, plume de tant d’écritures elles aussi forgées, martelées , ciselées, figées en palimpsestes puis effacées, que la plume tende l’offrande, la gondole privée de sa proue aux sept quartiers ou la pirogue menée de main d’esclave, qu’importe puisque seule la perche importe veillant à l’équilibre que ne rompt la chiquenaude intempestive ou l’effleurement attentionné, car tout, vieux sage, pleurnicheur invétéré, tout est balancement ,tournoiement, révolutions en sa conicité, tout, gondole-pirogue soutenue à bout de plume, tout, sexe dressé jaillissant d’un corps éperdu, dionysiaque, comme un index pointé, tout, méditation lovée pénétrant le repliement fœtal, enlacements reptiliens et stupéfaits de cette suspension, de cette pendaison dans la circularité infinie, fallacieuse, suspension à rien, tout, col de cygne portant à bout de plume le lecteur avide que dévore l’incandescence du texte, tout, déclamation, imploration, vitupération ou blasphème, repliement alors du corps estremecido en un sanglot singulier, silencieux, silencieux, qu’on me donne, qu’on me donne gitana de remotos zapateos, decuerpo erguido y puño alzado, gitana, tout, spirale s’affinant jusqu’à la sveltesse dressée, enlacements de valses imperturbables veillées par le déchirement du corps qui donne à voir l’âme se contemplant elle-même, âme, tout, balancements et tournoiements, funambulismes lents redoutant le pas de côté, le pas à l’abîme, béance à l’affût, il importe alors que la perche soit tenue de main de maître, que l’âme demeure sereine sous le rire sarcastique du sage jongleur de particules qu’il croit indestructibles, inconnaissables, car il ne sait pas, il ne sait pas que l’œuvre crée l’artiste autant que l’artiste crée l’œuvre, il ne sait pas et il en rit comme l’autre en pleure, ils ne savent pas quoique sages comme nous ne savons pas, toujours pas, qui de l’œuvre ou de l’artiste…..nous ne savons pas, toujours pas…silence…silen…sil…
N.
Parcours
Sculpteur autodidacte, j’ai, après des études classiques, quitté les chemins tracés pour assouvir ma première passion : le voyage.
C’est à vingt ans, lors d’un voyage en Amérique du nord et du sud que se sont imposés à moi l’envie et le besoin de sculpter. Mon premier mentor, Osvaldo Garrido, fut équatorien. J’ai séjourné chez lui trois mois pendant lesquels il m’a enseigné la taille du bois. De retour en France de nouvelles rencontres me mènent au moulage, au modelage et à la découverte de matériaux contemporains : les résines de synthèse. Leur légèreté et leur résistance permettent les premiers équilibres, la recherche de la sculpture en mouvement qui au grès d’une caresse, offre à la vue différentes facettes. Naissent alors les culbutos, sculptures dansantes.
Un voyage en Afrique de l’ouest est l’occasion d’une nouvelle rencontre, d’un nouvel espace à explorer : le bronze. J’apprends sa technique millénaire auprès de Moussa Ouattara, bronzier à Bobo-Dioulasso. C’est l’alliance du bronze et du fer de récupération qui donne naissance à de nouveaux équilibres, à des sculptures aux mouvements plus élaborés, aériens et envoutants.
Ma sculpture est résolument figurative et imaginaire et les thèmes abordés au fil des différents matériaux, des différentes techniques et esthétiques sont toujours liés à l’Homme et à son environnement naturel, à sa position dans l’univers, à sa place parmi les hommes. La figure humaine apparait souvent, silhouette épurée dans un mouvement cosmique.
Je suis maintenant installé entre Périgord et Quercy au sommet d’une colline qui semble, les matins ou la brume envahit les vallées, flotter comme les vagabonds de mes sculptures. C’est ici, les pieds plantés dans cette terre pétrie d’histoire et le regard aspiré par les millions d’étoiles qui nous veillent que je crée.
Un vagabond en équilibre
Sédimentés dans la langue, les mots racontent une histoire. Que raconte celle du sculpteur ? Que sculpere, comme scalpere (scalpel) a traduit le grec gluphein : tracer en creux dans la pierre, graver ; et donc que sculpteur fut d’abord celui qui taille par incisions des lignes inscrites à même la matière. La sculpture est une écriture, sa ligne un glyphe, le ciseau un crayon qui ne dépose pas la mine sur le papier mais fait parler la matière elle-même en l’incisant. Bientôt le ciseau s’empare non plus de la seule surface mais de la matière tout entière, il la façonne, la configure, la moule, la sculpte ou la fond. Alors la matière se transforme, s’aère, s’autonomise, elle devient œuvre, et l’écriture des volumes ajoutée à celle des formes lui donne figure et sens. La sculpture détache le matériau de sa pesanteur matérielle en insufflant forme et vie à la matière. Elle la pénètre d’esprit ; et l’esprit l’allège. La sculpture rend la matière spirituelle, la pesanteur légère, l’immobile aérien ou volage. Alors la pierre ou le bois ou le minerai semblent prendre vie, quitter la terre, s’échapper, aller à la rencontre du ciel, élaborer un sens en indiquant des lignes de fuites qui sont comme autant de promesses ou d’évasion ou d’émancipation. Certaine sculpture libère la matière ; et la matière libérée émancipe en retour l’esprit, lui ouvre des voies, dessine des possibles. Pesanteur devenue grâce.
Il arrive ainsi que le bronze aille à la conquête du ciel et nous invite à le suivre. Que l’on regarde ce vagabond depuis l’entrée du château de la Treyne ! Portée par sa marche, écharpe et manteau au vent, profil élancé comme si son regard dessinait l’horizon alors qu’il n’a d’autre visage que le port altier d’une ligne offerte à l’avenir, cette forme humaine drapée dans une cape battue par le temps a quitté le sol et s’élance. Elle vole et n’a pas d’ailes. Elle semble cependant au bout d’un chemin qui s’arrête. N’y a-t-il que le vide devant elle, et la chute inévitable ? Non, il y a le ciel infini et ce jour-là orageux qui dessine un paysage céleste partagé de lourds nuages sombres et de moutonnements cotonneux ; et elle s’avance encore. Elle a l’avenir devant elle, et l’espace, et le monde. Elle a défié Newton. Comment le peut-elle ? Derrière elle se tient son secret, ce qui la retient à la terre et lui permet de la quitter, une masse sphérique, une boule d’acier qui lui garantit de s’élancer et de se jouer de la gravité. Il y faut un chemin de fer, mince poutre où se prend son envol, et un point d’équilibre, au sommet de ce cône ajouré qui est à lui seul et support terrestre, solide et fiable, et rampe de lancement, pointée vers l’éther. Tout est dans l’équilibre par lequel la grâce du vagabond tient à la masse de la boule. Et l’équilibre inverse les valeurs, car la boule d’acier portée par le cône et regardant le ciel est déjà esprit, partie du vagabond qui sans elle ne saurait se détacher et aller à l’aventure, se faire ange ou oiseau. Aussi le vent, malgré la masse et le volume, fait-il tourner le vagabond et sa boule autour de la pointe du cône, girouette inquiète ou curieuse des lignes cardinales où s’invente aléatoirement la cartographie des mondes possibles. La sculpture devient une écriture du monde dans le ciel. Vagabond céleste, et non clochard, qui ne saurait grâce à cet équilibre perpétuellement menacé mais perpétuellement reconduit devenir ange de la désolation.
Tel est l’art du sculpteur en équilibre. Calder faisait des mobiles ; Cayla fait des équilibres. Dans équilibre, on entend l’égalité et la liberté. Même si l’équilibre est l’enfant de l’égalité des livres (une livre - libra - est un poids et l’équilibre une balance égale des poids), on perçoit que la liberté offerte au vagabond, ou celle qu’il a prise, de voyager dans le ciel requiert comme sa condition l’égalité des masses. L’équilibre est ici le nom sculpturel de l’« égaliberté ». Et ce qui vaut pour le vagabond céleste vaut pour les autres sculptures de l’artiste. Comment ces spirales ou ces doubles hélices élanceraient-elles librement ces corps et ces amants dans le ciel s’il n’y avait cette égalité des parts ? Comment ces ailes repliées produiraient-elles l’envol de ces corps ou l’entrelacement de ces mains, ces chorégraphies d’oiseaux et de fées, si l’équilibre des formes n’était assurée par l’égalité des poids, la répartition des efforts et le partage des responsabilités ? Comment ces danseuses virevolteraient-elles sans prendre appui et élan en même temps sur une pointe d’égalité ? Comment ces lourds oiseaux de métal faits de tiges ajointées pourraient-ils se révéler si gracieux et légers s’ils n’étaient tout d’égalité composés ? Ou ces poissons girouettes, voleraient-ils hors de leur milieu au-dessus du bassin, par le vent animés, s’ils n’étaient allégés et libérés de toute pesanteur par l’égalité des rapports qui composent un monde libre ?
Pesanteur devenue grâce ; égalité devenue liberté. La sculpture de Cayla n’écrit pas cette aventure par incision dans la matière, car celle-ci, elle ne l’entame pas, mais elle la fond, la compose, la façonne. Cette façon est aussi une politique de l’émancipation que sa sculpture écrit avec la matière et qu’elle nous donne à lire dans ses équilibres.
Etienne Tassin
Entre ciel et terre
Espérant le souffle
D’une brise légère
Notre regard ardant guette
L’invitation au voyage engendrée
Par l’évolution des sculptures dans l’univers …
Nous voici alors transportés
Par nos rêves dans le plus grand calme.
Cet instant unique et exclusif
Ne peut qu’éveiller nos sens
A ce doux sentiment
De quiétude et de sérénité.
Enivrés et bercés dans le cosmos
Danielle Sanchez
En m'approchant doucement non loin de là
j'entrevois l'invisible
juste le temps au vent de déposer subrepticement
un parfum d'inconnu.
En m'approchant doucement non loin de là
je suis bousculée
chut... dans l'équilibre retrouvé j'hésite.
En m'approchant doucement non loin de là
j'ai comme un frisson
une caresse magnétique du fer contre le pot de terre?
la force extravagante du vagabond céleste?
le bruissement du tissu de la robe de la femme qui part sans bruit dans le désert?
loin des mots...
Je crois deviner que le travail de Christophe rend compte de l'invisible et ouvre avec élégance une parenthèse inattendue malgré les méandres de nos convictions. Je ne suis sûre de rien.
Poser le regard sur ses sculptures, c'est laisser au vestiaire ses habitudes, son quotidien, sa lassitude, son réveil matin afin de pénétrer dans le monde ô combien fragile de l'imaginaire du bronze.
Ainsi, dans une grande bienveillance le sculpteur façonne les chemins de nos histoires, défriche le superflu et laisse une trace de l'essentiel.
Nous lui devons d'être surpris un matin au saut du lit et de découvrir en nous quelqu'un d'autre. Il nous permet de rêver l'être cher, de voyager entre les étoiles, de voler comme l'oiseau de feu, ou d'aller à la pêche miraculeuse du poisson d'or. Inutile de repasser par le vestiaire. Habillée de l'invisible, la journée s'annoncera douce.
Bernadette Rudelin